Pascal VATINEL


La question que l’on me pose le plus souvent : « Pourquoi la Chine ? »

En fait, je n’écris pas que sur la Chine. Parce que le sang n’oublie pas (Rouergue Noir 2011), se déroule essentiellement au Japon au cœur de l’extrême droite et sa gestion de l’héritage des anciens samurais ; le précédent, Les larmes du Phénix (2010), évoquait le périple d’évadés de Corée du Nord et, dans l’ombre de celle-ci, la présence constante des hommes du président (Washington).

Quant à Environnement Mortel (2012), difficile de faire plus « International ».

Bon, ceci dit, beaucoup la Chine, jusque dans mes livres pour les enfants. Parce que, en ce qui me concerne, écrire est le prolongement naturel de mes voyages. Poursuivre à l’intérieur ce que j’ai vécu à l’extérieur, l’extérioriser à nouveau sous la forme d’un récit, le partager sous la forme d’un livre. Je ne pourrais sans doute pas écrire s’il n’y avait pas d’abord « le terrain ».

Je ne tiens pourtant aucun carnet de voyage, et n’ai aucune idée préconçue en abordant telle ville, en grimpant sur tel bateau, aucun plan ou projet autre que la découverte, le regard sur des civilisations, des paysages, des couleurs, et l’écoute d’hommes et de femmes souvent inquiets de l’étranger, toujours généreux avec celui qui s’intéresse sincèrement, dans l’humilité, le respect de ce qu’ils sont, de leurs différences.

Je dois être une sorte d’éponge à images, senteurs, anecdotes, personnages… découverts le long des routes et des fleuves. Je les stocke à mon insu, sans jamais savoir quand ils réapparaitront à ma conscience, s’imposeront au cœur d’un récit. La plupart des plats que je décris, j’y ai goûté et j’ai leur saveur en bouche lorsque mes mots s’impriment sur la page ; beaucoup de ces lieux, j’y suis passé ; ce vendeur à la sauvette, arrêté par la police, ou cet évadé de Corée, j’ai croisé leur route.
Ça aide. Mais cela ne suffit pas pour écrire un livre.

L’initium de mes romans est chaque fois une histoire vraie, un fait historique ou d’actualité, qui retient mon attention et, surtout, suscite en moi une véritable émotion, vite transformée en obsession, et devient pulsion d’écrire. Alors commence le travail de recherche documentaire. Entre douze et dix-huit mois de fouilles et de lectures, d’analyse et de synthèse, avant de coucher les premiers mots sur le papier.

Après le voyage, et avant l’écriture, c’est la partie du travail que je préfère. Même si elle est parfois désespérante. Ainsi l’Affaire du Cuisinier Chinois. Combien de fois ne me suis-je pas maudit d’avoir choisi ce thème. Avez-vous essayé de trouver de la documentation sérieuse à propos de la gastronomie chinoise au temps des Royaumes Combattants ? Malgré cela, il n’était pas question de commettre d’erreurs.

Passionné d’histoire de la civilisation chinoise depuis mon adolescence (un sacré bout de temps), la précision de mes informations garde, à mes yeux, autant d’importance que la légèreté du récit qui doit, après tout, rester un bon moment de divertissement. Lorsqu’un journaliste chinois, critique gastronomique, travaillant pour un journal de Taipei, est venu me saluer au stand où je signais lors du Festival du Livre Gourmand de Périgueux, pour me féliciter et me dire que grâce à mon modeste polar, il avait beaucoup appris sur l’histoire de son propre pays, j’ai respiré à plein ce doux moment de reconnaissance. Idem, lorsque le lycée international de Pékin a référencé mon bouquin pour le mettre à disposition de ses étudiants.

Cette recherche n’est pas plus facile lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les filières d’évasion chinoises, ou de reconstituer l’atmosphère de Nankin soumise aux pires sévices commis par l’armée nippone en 1937. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le personnage central de mes derniers romans soit un reporter free-lance : Thomas Kessler. Lui aussi doit fouiller, écouter, observer, analyser et rester le plus neutre possible. Voilà pourquoi ce n’est pas un flic. Ses enquêtes aboutissent à des articles dans Nouvelles du Monde, pas à des arrestations. Il informe plus qu’il ne juge. Bien sûr, il y a du chinois dans cet homme-là. Yi fen wei er : « Un se divise en Deux » ; le double regard à porter sur chaque chose. De quoi éviter une écriture linéaire, jouer avec le temps, passé et à venir, et densifier l’intrigue.

Mes romans jeunesse (Actes Sud) ont aussi un personnage central : Fleur de Printemps, à qui son grand-père, Lao Sheng, propose de jolies réflexions sur la Chine d’hier et d’aujourd’hui, mais qui gardent une portée universelle.
C’est sans doute parce que je privilégie le voyage à l’écriture, que j’essaye de faire de chaque écrit un voyage.